Par delà les chiffres, manifeste pour une approche sensible de la transition écologique
Le projet PACT², Parcours apprenants et communs des transitions des territoires, se concentre sur des territoires pionniers de la transition écologique en France. Par leurs actions ces dernières décennies, les trois écosystèmes sélectionnés ont été identifiés comme des territoires d’expérimentations d’où tirer des enseignements afin de multiplier des initiatives du même acabit.
Se posent alors au moins deux questions essentielles quant à une hypothétique transmission : Que transmettre et comment ?
Derrière les territoires pionniers, les chiffres et les données quantitatives, des personnes et des histoires
Avec l’exploration PACT2, nous souhaitons saisir ce qui se cache au-delà des grandes étapes de développement qui ont marqué nos trois territoires d’exploration : Grande-Synthe, Ungersheim et Mouans Sartoux. Nous voulons apprendre à connaître les personnes à l’œuvre derrière ces histoires. Aller au-delà des chiffres, des modélisations et des parcours académiques de ces personnes pour découvrir leurs chemins de vie, leurs sensibilités, leurs passions.
Pourquoi ? Parce que nous sommes convaincus qu’à partir de ces expériences de terrain avant-gardistes, une culture commune se forge, avec des pratiques, des imaginaires, des savoirs et techniques communs. C’est cela qu’il nous semble primordial de saisir et de transmettre pour favoriser l’appropriation par le plus grand nombre de ce type de développement territorial.
En ce sens, nous nous rapprochons de la définition que donne Baptiste Morizot, dans le hors série de Socialter Renouer avec le vivant, d’une culture du vivant qu’il serait important de nous forger :
« une culture du vivant comme on parle d’une culture de la révolution : quelque chose qui lui confère une importance dans l’espace collectif et l’attention politique. Comme on parle d’une culture de l’hospitalité : avec des traditions, des pratiques, des imaginaires, des rituels. Comme enfin on parle d’une culture du jazz : comme un réseau de savoirs, d’interprétations, d’anecdotes significatives, de récits des relations invisibles, de familiarité vécue.”
Avec PACT2, notre approche consiste ainsi à rapporter un bagage d’histoires, de témoignages, de récits soulignant cette culture qui se révèle par les voix multiples qui l’incarnent.
Révéler les spécificités contextuelles
Nous portons une attention particulière à la compréhension préalable de chaque contexte local. Le terme contexte est compris comme l’ensemble des conditions naturelles, sociales et culturelles dans lesquelles se sont développées ces démarches pionnières.
Ainsi lectures et analyse de documentations officielles et alternatives contribuent à nourrir une vision générale. Entretiens individuels semi-directifs, rencontres, déambulations et visites permettent de se représenter la complexité du contexte. Ces méthodes inspirées des sciences sociales sont un préalable inévitable pour se forger une vision fidèle de ces écosystèmes.
Nous croyons aux vertus de l’ancrage et “aux solutions qui habitent leur territoire” (1) tout en refusant les recettes toutes faites. Nous appréhendons nos trois territoires de recherches, comme des touts, pluriels, dynamiques, complexes. Nous les envisageons comme des entrelacements entre des personnes, des espaces, des flux et des infrastructures qu’il est nécessaire d’appréhender sous des angles multiples et non linéaires pour en comprendre les spécificités.
C’est avec cette ambition en tête que nous nous intéressons à la deuxième question de cet article, à savoir, comment transmettre ? Quelle méthode pour à la fois explorer, comprendre, restituer ces apprentissages et être force de propositions ?
Le design pour accueillir la complexité et s’autoriser à mêler les représentations
“Le design comme une discipline de la projection permettant d’envisager des paradigmes dans lesquels vivre et de trouver les leviers de discussion, de test et d’action afin de les transformer au mieux et avec raison.”
Si notre méthodologie sur PACT2 est à la croisée de plusieurs disciplines, celle-ci est fortement influencée par le design. Car l’objet du design est de s’intéresser aux faits complexes tels que décrits plus haut. Non pas pour les simplifier, mais pour se les figurer, révéler certains liens, et relier certains pants entre eux.
Il est commun dans une démarche de design de mener une première phase exploratoire pour se représenter un milieu afin d’ensuite imaginer s’y immiscer et émettre des propositions d’actions.
En faisant appel au design, nous multiplions aussi notre capacité à trouver des expressions et méthodes de représentation qui sortent des sentiers battus. Les outils d’expression comme la vidéo, l’audio, le dessin et de manière générale, la représentation graphique, sont des formats encore peu communs dans des études.
Pourtant quelques croisements entre design et sciences humaines en démontrent l’intérêt et l’acceptation par des collèges universitaires (2). Nous sommes convaincus que ces formes aident à se saisir des idées de manière plus complète et que la pluralité des formats permet de restituer la richesse des échanges de manière précise et qualitative.
Enfin, si le design dans son acception actuelle présente la caractéristique de partir du point de vue des habitants (approche dite centrée utilisateur), il croise de plus en plus un courant intellectuel émergent, les penseurs de l’intime, qui cherche à comprendre les ressorts de notre histoire grâce à l’étude des affects et des émotions.
Cela en intégrant une dimension sensible au travail poursuivi par l’apport de témoignages, d’expressions plastiques qui ne tente en rien de reformuler ou d’objectiver.
Notre démarche exploratoire a donc deux vocations. Donner à voir et à comprendre chaque terrain par ses réalités vécues et sa culture induite. Créer de nouveaux formats d’expression hybrides grâce à une démarche de design qui honorent ces pionniers et interpellent tous les curieux qui se demandent comment répliquer chez eux ces expérimentations.
Clothilde Sauvages & Tom Hébrard
(2) Quelques premiers exemples de thèses en Design (principalement liées à des écoles de sciences sociales) démontrent l’apport du carnet de croquis par exemple. En 2015, Camille Bosqué publie Une empathie fertile. Le dessin comme outil d’enquête au cœur des FabLabs, dans la revue Techniques et Culture éditée par l’EHESS. Cet article éclaire sa pratique singulière d’observation terrain qu’elle intègre dans l’édition finale de sa thèse.