Mouans Sartoux ou la construction d’une parcelle d’humanité vraie
Mouans Sartoux est identifié comme un territoire pionnier sur les questions de transition écologique et notamment pour sa politique liée à l’alimentation développée ces dernières décennies. 100% bio, autonome à 85% pour sa consommation de légumes et de pommes de terre…
En chemin vers la souveraineté alimentaire, nous avons souhaité nous entretenir avec une des figures de proue de ce mouvement dans le cadre de notre expérimentation PACT2, Parcours Apprenants et Communs des Transitions des Territoires.
Pouvez-vous revenir sur la genèse de votre politique alimentaire ?
Tout à commencé avec la crise de la vache folle en 1998, quand on s’est entendu dire qu’il ne fallait plus servir de bœuf à la cantine sous risque d’empoisonner nos enfants. Du jour au lendemain, nous avons eu une prise de conscience, la ville a décidé d’interdire le bœuf nourri à base de farine animale et de passer au bœuf bio. Suite à cet électrochoc, nous avons continué.
“Tout à commencé avec la crise de la vache folle en 1998, quand on s’est entendu dire qu’il ne fallait plus servir de bœuf à la cantine sous risque d’empoisonner nos enfants.”
En 2005, nous avons revisité l’équilibre nutritionnel de nos repas, avec plus de fruits et légumes, moins de sel, de graisses etc. Et lorsqu’en 2008 a été fixé l’objectif des 20% de bio en restauration collective avec le Grenelle de l’environnement, nous avons décidé de fixer notre propre objectif, à 100%. Cela, pour deux raisons. D’abord, parce qu’il n’est pas possible de manger plus de fruits et légumes sans manger plus de pesticides… Ensuite parce que l’on sait que lorsqu’on se fixe un objectif de 20%, à la fin cela signifie 3–4%… L’équivalent des chiffres d’aujourd’hui.
Vous avez atteint les 100% d’approvisionnement en bio en 4 années seulement. Comment avez-vous fait ? Y a t-il eu une augmentation budgétaire importante?
Nous n’avons jamais changé le prix de la cantine en fonction de ce que l’on mettait dans les assiettes. C’est même le contraire qui s’est produit puisque nous sommes passés d’un coût de matière de 1,92€ en 2008 à 1,86€ en 2012 pour du 100% bio soit une économie de 6 centimes. Simplement, en réduisant la quantité d’aliments achetés. Le gaspillage alimentaire en restauration collective correspond à peu près à 1/3 de ce que l’on cuisine donc de ce que l’on achète.
En passant de 147 grammes à 30 grammes de gaspillage alimentaire par repas, nous avons généré une économie de 20 centimes que l’on a réinvestie sur la qualité alimentaire. Les repas végétariens sont un autre bon levier de maîtrise des coûts puisqu’ils coûtent deux fois moins cher qu’un plat avec de la viande ou du poisson. Nous en avons désormais deux par semaine.
Si le prix n’est pas un frein, comment expliquez-vous la non généralisation de ce type de pratique ?
Lorsque je discute avec des élus deux arguments reviennent : le prix, or on vient de voir qu’il y a des leviers pour que les hausses soient contournées. Et la question de l’import, qui pour moi est un faux débat. Pourquoi devrions-nous manger du conventionnel local si c’est remplis de pesticides qui empoisonnent nos terres et polluent l’air de nos territoires ? Surtout lorsque l’on sait que l’impact du transport des aliments ne représente que 6% des émissions de gaz à effet de serre produites par l’agriculture, contre 94% pour le mode de production.
“Pour prendre des décisions raisonnées il faut que les élus sortent des visions court-termistes et arrêtent de prendre uniquement en compte l’aspect économique. ”
Quand à deux ans des municipales on triple les surfaces agricoles de notre territoire et on transforme des parcelles constructibles en surfaces agricoles, nous faisons un pari politique. On prend le risque de se faire éjecter. Et on le fait, car nous sommes convaincus que c’est le sens de l’histoire.
“Notre projet est de construire la souveraineté alimentaire du territoire.”
C’est-à-dire de définir quel type d’aliments nous souhaitons manger, comment nous souhaitons les produire et sur quel territoire. Concrètement, cela se traduit par une recherche constante avec notre grossiste pour resserrer notre bassin d’approvisionnement. Notre objectif est d’atteindre le 100% de provenance de la région PACA ou du Piémont Italien contre 75% aujourd’hui.
Percevez-vous des différences de pratiques et d’usages sur votre territoire ?
Tous les trois ans depuis 2013, nous réalisons une enquête auprès des familles pour comprendre les pratiques alimentaires des Mouansois. La dernière en date a montré que 87% des familles ont modifié leur pratiques, que ce soit au regard des repères nutritionnels, des modes d’approvisionnement, de la saisonnalité des achats… Et cela à partir de ce que les enfants racontaient de l’école et des messages envoyés par la commune.
Après, notre politique environnementale ne s’arrête pas à l’alimentation. L’objectif, pour le maire de Mouans Sartoux, était de faire une “une parcelle d’humanité vraie”. Travailler sur le vivre ensemble, les activités associatives et citoyennes de la commune.
C’est un projet global. Nous avons beaucoup de visibilité sur l’alimentation, mais une politique publique sociale et environnementale est forcément tout azimut.
“Une politique publique sociale et environnementale est forcément tout azimut.”
Nous sommes aussi en autoproduction électrique grâce au photovoltaïque sur nos bâtiments communaux. Nous avons une politique volontariste sur les mobilités douces, sur la qualité de l’air dans les écoles, ou encore sur la régulation des antennes wifi. Mais concernant ce dernier point, force est de constater qu’aujourd’hui les lobbies de certaines entreprises ont réussi à faire en sorte que la loi empêche les maires de se mettre en travers de leurs projets… Ce qui selon moi est le symptôme qu’encore aujourd’hui l’économie et le business mènent les décisions plutôt que le principe de précaution.
Comment expliquez-vous que Mouans Sartoux soit si en avance par rapport aux standards nationaux ?
Une partie de la réponse est à aller chercher dans le contexte territorial. Nous sommes au cœur de trois grandes villes, Cannes, Grasse, Antibes, qui ne peuvent se développer que vers le centre de ce triangle, où il y a Mouans Sartoux. Au sud il y a la mer, au nord et à l’ouest les montagnes, et à l’est la métropole Nice Côte d’Azur déjà très urbanisée.
Il n’est pas commun qu’un million d’habitants se concentrent sur une bande côtière de 20 km de profondeur… Cela fait donc 40 ans que Mouans Sartoux se bat pour la préservation de son territoire et des espaces vierges pour les générations futures. Ces combats ont forgé notre ADN politique, ainsi qu’une solidarité entre les citoyens et les élus.
Une autre partie de la réponse est à aller chercher dans les rencontres. D’abord grâce au festival du livre et citoyens de Mouans Sartoux qui depuis plus de 30 ans permet aux élus et aux habitants d’être extrêmement bien informés et sensibilisés sur les enjeux écologiques.
C’est un lieu d’idées et de débats durant lequel énormément de personnalités viennent partager leur vision du monde, de la société, de l’économie, de l’environnement, de l’agriculture. Le mouvement des Colibris de Pierre Rabhi est né ici. Puis avec l’élection en 97 du maire à un rôle de député avec une mission parlementaire sur la santé et l’environnement.
En devenant député, le maire a rencontré des scientifiques qui l’ont aidé à forger sa vision.
“Nos politiques publiques locales sont nées de rencontres. D’une ouverture aux scientifiques, aux chercheurs, aux intellectuels et aux grands témoins d’une alternative.”
Vous ne vous attachez pas uniquement à construire une politique locale ambitieuse, vous cherchez aussi à la diffuser autant que possible. Qu’est-ce qui se cache derrière ce partage ? N’est-ce pas à contre-courant de vos prérogatives locales qui visent avant tout à travailler pour les Mouansois ?
En effet, durant les trois dernières années, nous avons travaillé avec plus de 300 collectivités, élus et techniciens. Cela, car nous sommes convaincus que si chacun fait sa part, alors nous arriverons peut-être à maîtriser le réchauffement climatique. Sur l’alimentation nous sommes une preuve de concept, mais ce n’est pas à notre petite échelle de 1 350 hectares que l’on va faire la différence. Si l’on souhaite commencer à avoir un véritable impact, il faut que de nombreuses villes entrent dans cette même dynamique.
“Transmettre est devenu un acte militant.”
Nous essayons de transmettre à la fois notre vision et notre compréhension des enjeux car dès lors qu’on est convaincu de l’impact de l’alimentation sur la santé et sur l’environnement, alors on ne peut plus, ne rien faire.
Ça donne le moteur du projet. Nous sensibilisons aussi à la poursuite d’objectifs très ambitieux car on ne déploie pas la même énergie en fonction de ce que l’on veut achever. Si vous voulez faire un saut puissant, il faut prendre une grande course d’élan et avoir une forte impulsion, alors que si vous voulez juste passer un petit pas, vous vous contentez d’allonger votre foulée.
L’urgence climatique nécessite de faire un grand pas, et c’est pourquoi on se bat contre le plafond de verre des 20% dans les cantines.
“Si vous voulez faire un saut puissant, il faut prendre une grande course d’élan et avoir une forte impulsion, alors que si vous voulez juste passer un petit pas, vous vous contentez d’allonger votre foulée.”
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Élu depuis 1995, Gilles Perole est adjoint au maire de Mouans Sartoux, délégué à l’enfance, l’éducation et l’alimentation. Il a porté la genèse du projet alimentaire qui fait la renommée de Mouans-Sartoux. Depuis deux ans, il est aussi le coordinateur du diplôme universitaire Chef de projet alimentation durable développé avec l’université Côtes d’Azur.
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Cet entretien s’inscrit dans le cadre de l’expérimentation PACT2 et a été réalisé par Clothilde Sauvages.
Pour aller plus loin :
La résilience pour imaginer demain plutôt que perpétuer hier, entretien avec Rob Hopkins sur le Ouishare Mag